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Arrêt Dobbs de la Cour suprême des États-Unis : “Le pouvoir de réglementer l’avortement est rendu au peuple et à ses représentants élus.”

Par Libby Emmons

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La Cour suprême [des États-Unis d’Amérique] a rendu vendredi [le 24 juin 2022] un arrêt dans l’affaire Dobbs c. Jackson Women’s Health Organization. Elle a renversé l’arrêt Roe c. Wade, qui légalisait l’avortement au niveau fédéral [états-unien]. L’enjeu de l’affaire était de savoir si toutes les restrictions à l’avortement avant la viabilité [des enfants à naître] sont anticonstitutionnelles, ou non.

« La Constitution ne confère pas un droit à l’avortement ; Roe et Casey sont annulés ; et le pouvoir de réglementer l’avortement est rendu au peuple et à ses représentants élus », peut-on lire dans la décision. Le juge Alito a rédigé l’opinion, comme on pouvait s’y attendre sur la base de l’ébauche de mai qui avait fait l’objet d’une fuite. Il conteste l’arrêt Roe pour des raisons constitutionnelles, affirmant que la décision de 1973 avait arraché le droit à chaque État d’en décider pour lui-même.

La décision, dont un avant-goût avait1 été divulgué fin avril, annule essentiellement la décision historique de 1973 dans l’affaire Roe c. Wade qui a légalisé l’avortement au niveau fédéral. Désormais, la décision de légaliser ou non l’avortement revient aux États [fédérés].

Le juge Samuel Alito a émis l’opinion, et a été rejoint par [Neil] Gorsuch [nommé par Donald Trump en janvier 2017], [Brett] Kavanaugh [nommé par Trump en 2018], Amy Barrett [nommée par Trump en 2020] et Clarence Thomas [ainsi que le juge en chef John Roberts]. Les dissidents étaient [Stephen] Breyer, [Sonia] Sotomayor et [Elena] Kagan. La décision se lit comme suit :

« La Constitution ne fait pas expressément référence à un droit d’obtenir un avortement, mais plusieurs dispositions constitutionnelles ont été proposées comme foyers potentiels d’un droit constitutionnel implicite. Selon Roe, le droit à l’avortement fait partie d’un droit à la vie privée qui découle des 1er, 4ème, 5ème, 9ème et 14ème amendements. […] »

[Le jugement se poursuit comme suit :]

« L’arrêt Casey a fondé sa décision uniquement sur la théorie selon laquelle le droit d’obtenir un avortement fait partie de la ‹ liberté › protégée par la clause de procédure régulière du 14ème amendement. D’autres ont suggéré que l’on pouvait trouver un soutien dans la clause de protection égale du 14ème amendement, mais cette théorie est carrément exclue par les précédents de la Cour, qui établissent que la réglementation de l’avortement par un État n’est pas une classification fondée sur le sexe et n’est donc pas soumise à l’examen approfondi qui s’applique à de telles classifications. »

La Cour a ensuite examiné « si le droit d’obtenir un avortement est enraciné dans l’histoire et la tradition de la nation et s’il constitue une composante essentielle de la ‹ liberté ordonnée › ». Elle a conclu que « le droit à l’avortement n’est pas profondément enraciné dans l’histoire et la tradition de la nation. La théorie sous-jacente sur laquelle reposait l’arrêt Casey – à savoir que la clause de procédure régulière du 14ème amendement offre une protection substantielle, ainsi que procédurale, de la ‹ liberté › – est depuis longtemps controversée. »

En renvoyant la décision sur la légalité de l’avortement aux États [fédérés], la Cour écrit que « la compréhension historique qu’a la nation de la liberté ordonnée n’empêche pas les représentants élus du peuple de décider comment l’avortement devrait être réglementé ». La Cour défend également la validité d’une « vie potentielle », déclarant, dans son annulation de Roe et Casey, que « les tentatives de justifier l’avortement par des appels à un droit plus large à l’autonomie et à la définition du ‹ concept d’existence › de chacun s’avèrent excessives ».

« Ces critères, à un haut niveau de généralité, pourraient autoriser les droits fondamentaux à la consommation de drogues illicites [sic], à la prostitution et autres. Ce qui distingue nettement le droit à l’avortement des droits reconnus dans les affaires sur lesquelles s’appuient Roe et Casey  est quelque chose que ces deux décisions ont reconnu : l’avortement est différent parce qu’il détruit ce que Roe appelle une ‹ vie potentielle › et ce que la loi contestée dans cette affaire appelle un ‹ être humain non né › ».

« Aucune des autres décisions citées par Roe et  Casey n’impliquait la question morale critique posée par l’avortement. En conséquence, ces affaires ne soutiennent pas le droit d’obtenir un avortement, et la conclusion de la Cour selon laquelle la Constitution ne confère pas un tel droit ne les remet [ces autres droits] nullement en cause. »

Pour Alito, la viabilité était une préoccupation majeure. Il a noté qu’en vertu de la décision précédente [soit Roe ou  Casey], « chaque trimestre de la grossesse était réglementé différemment, mais la ligne la plus critique était tracée à peu près à la fin du deuxième trimestre [c’est-à-dire à six mois de grossesse], ce qui, à l’époque, correspondait au moment où l’on pensait que le fœtus atteignait la ‹ viabilité ›, c’est-à-dire la capacité de survivre en dehors de l’utérus. Bien que la Cour ait reconnu que les États avaient un intérêt légitime à protéger la « vie potentielle », elle avait estimé que cet intérêt ne pouvait justifier aucune restriction sur les avortements de pré-viabilité. »

La science médicale s’est accélérée au point que même les bébés nés à seulement 21 semaines de gestation sont capables de survivre avec une aide médicale. Alito a cité la loi du Mississippi qui a été contestée, et qui se lit comme suit :

« Sauf en cas d’urgence médicale ou d’anomalie grave du fœtus, une personne ne doit pas, intentionnellement ou sciemment, pratiquer ou provoquer l’avortement d’un être humain à naître si l’âge gestationnel probable de l’être humain à naître a été déterminé comme étant supérieur à quinze (15) semaines. »

Il a fait remarquer que cette décision des législateurs du Mississippi était étayée par le fait que « au moment de la promulgation de la loi, seuls six pays autres que les États-Unis autorisaient l’avortement non thérapeutique ou facultatif sur demande après la vingtième semaine de gestation ». Ces législateurs avaient étudié le processus de gestation et la croissance du bébé à naître, déterminant que l’interruption de grossesse, même à 12 semaines, « pour des raisons non thérapeutiques ou facultatives est une pratique barbare, dangereuse pour la patiente et dégradante pour la profession médicale ».

Concernant la dissidence de cette opinion :

« La dissidence est très franche sur le fait qu’elle ne peut pas montrer qu’un droit constitutionnel à l’avortement a un quelconque fondement – et encore moins un fondement ‹profondément enraciné › – ‹ dans l’histoire et la tradition de cette nation › ».

Dobbs c. Jackson Women’s Health Organization a testé une loi du Mississippi qui interdisait la plupart des avortements après 15 semaines de grossesse. Les tribunaux inférieurs ont empêché la promulgation de cette loi, car elle était directement contraire à une décision antérieure dans l’affaire Planned Parenthood c. Casey qui empêchait les États [fédérés] d’interdire l’avortement dans les 24 premières semaines de gestation.

Plusieurs États ont déclaré qu’ils deviendraient des États sanctuaires pour l’accès à l’avortement, notamment la Californie, New York, le New Jersey, le Connecticut et le Colorado. De nombreux États, comme l’Oregon, autorisent déjà l’avortement sur demande jusqu’au troisième trimestre [inclusivement]. D’autres États ont adopté des lois qui restreignent drastiquement l’avortement, comme le Texas, le Mississippi, l’Oklahoma [et une vingtaine d’autres].

Les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies [ou CDC, une agence gouvernementale fédérale] indiquent qu’il y a eu 629 898 avortements aux États-Unis en 2019, mais ils s’appuient sur des données déclarées volontairement ; or la Californie, le Maryland et le New Hampshire n’ont pas communiqué leurs totaux. Ce nombre est plus élevé que les 619 591 avortements déclarés volontairement en 2018, et que les 612 719 avortements de 2017. L’Institut Guttmacher [un lobby gauchiste pro-avortement] compile ses données en contactant chaque prestataire de service d’avortement du pays et utilise les données des départements de santé [publics], et a constaté qu’il y avait eu 862 320 avortements en 2017. Aucun de ces chiffres ne tient compte de l’utilisation des pilules abortives obtenues en vente libre.

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Affiche pro-vie provenant du site Reformed Perspective

Source originale : Breaking: Supreme Court Overturns Roe v. Wade sur le site The Post Millennial.

Traduction française réalisée par Triconien Bracton du site Le Monarchomaque, légèrement éditée par La Lumière du monde.


A propos de l’auteur

Libby Emmons est l’actuelle rédactrice en chef du Post Millennial et a été une collaboratrice senior du Federalist. Libby Emmons est un grand écrivain, dramaturge et travaille également comme productrice et rédactrice indépendante pour diverses sociétés.

Elle a écrit de nombreux articles et récits sincères sur sa vie personnelle. Les expériences qu’elle a vécues l’ont motivée à s’exprimer contre la discrimination sexuelle et l’équité pour les enfants.

Libby Emmons est entrée au Sarah Lawrence College en 1993 pour obtenir une licence en philosophie et en théâtre. Elle a obtenu son diplôme en 1998 et a fait une pause dans ses études pendant un certain temps dans le but d’acquérir de l’expérience dans sa profession.

Puis, en 2004, Libby Emmons rejoint l’université Columbia de la ville de New York pour obtenir un master en théâtre. Elle a obtenu son Master of Fine Arts (MFA) en 2007.

Elle s’est essayée à la rédaction en freelance pour The Federalist depuis 2015. Libby Emmons a également été rédactrice indépendante pour le magazine Quillette et blogueuse pour Li88yinc. Elle occupe actuellement le poste de rédactrice en chef pour The Post Millennial depuis mars 2020. Fondé en 2017, The Post Millennial est devenu l’un des organismes de presse dont la croissance est la plus rapide au Canada et l’un des plus grands médias conservateurs au monde.

1 réflexion au sujet de “Arrêt Dobbs de la Cour suprême des États-Unis : “Le pouvoir de réglementer l’avortement est rendu au peuple et à ses représentants élus.””

  1. Bébé cherche lieu sûr !

    Samedi 25 juin 2022 : France-Inter est en émoi après la décision de la Cours suprême des Etats-Unis de remettre en cause le droit à l’avortement.

    France-Inter, journal de 13 h.00 :
    A la une : la France pourrait-elle revenir sur le droit à l’avortement ? Aucun risque pour l’instant, mais de nombreuses voix demandent son inscription dans la constitution. Elisabeth Badinter s’est dite désespérée ce matin sur Inter : “Nous sommes en grand danger”. Aurore Bergé (chef de file des députés La République en marche) dépose aujourd’hui un projet de loi à l’Assemblée nationale. “Malheureusement rien n’est impossible et les droits des femmes sont toujours des droits qui sont fragiles”. (Transcription exacte).

    13 h.10 :
    C’est le lieu où les enfants sont sensés être en sécurité : la crèche. D’où l’émoi après la mise en examen à Lyon d’une employée d’une crèche de la ville. Une mise en examen pour homicide volontaire sur mineur de moins de 15 ans. Cette femme aurait fait avaler un produit caustique à une petite fille de 11 mois : elle ne supportait plus les pleurs de l’enfant. (Transcription exacte).

    J’espère ne pas être le seul à avoir sursauté intérieurement devant l’enchaînement de ces deux annonces à quelques minutes d’intervalle. On comprend que les droits des enfants, mais aussi les droits des femmes peuvent varier du tout au tout en fonction des moments. Pourquoi, finalement, l’enfant devrait-il être plus en sécurité à la crèche que dans le ventre de sa maman ? Pourquoi une femme va-t-elle aller en prison pour avoir attenté à la vie d’un enfant de 11 mois alors qu’on va rembourser l’interruption de la vie d’un enfant de 16 semaines ? Après tout, cette femme était excédée, tout comme celle qui ne souhaite pas garder son enfant. Pourquoi ici le droit des femmes semble-t-il revêtir un caractère absolu, alors que là c’est soudain celui de l’enfant ? Parce qu’on a eu le temps de s’attacher à lui ? Mais que vaut cette raison dans le cadre d’un questionnement éthique ?

    Parler de questionnement éthique au sujet de l’avortement, c’est reconnaître que la question peut être difficile à traiter dans certains cas. Quel est le propre d’un questionnement éthique : c’est d’entendre tous les arguments, en faveur et en défaveur de telle ou telle décision. Mais eu égard à l’avortement, seul le droit des femmes est évoqué : il écrase ou écarte toute autre considération, y compris l’avis du père de l’enfant à naître (qui n’est pas forcément un délinquant) ; y compris l’avis (ou la vie) de l’enfant qui, bien entendu, ne peut rien dire.

    Le droit à disposer de son corps est-il un droit sans limite ? Depuis quand une injustice (obliger une femme à porter un enfants non désiré) peut-elle être résolue par une autre injustice (interrompre la vie d’un enfant à naître) ? Qui va dire laquelle des deux injustices, dans la balance, a finalement le plus de poids ? L’interruption de grossesse est-elle, à moyen terme, le bon moyen de faire respecter le droit des femmes, de responsabiliser les hommes, de dire, finalement, le droit des enfants ?

    Oui, ces questions peuvent parfois revêtir un caractère dramatique. Mais cela justifie-t-il qu’un seul point de vue soit promu, comme s’il allait de soi, comme si la question était maintenant tranchée ? comme si ceux qui pensent autrement étaient de parfaits abrutis ? – Mais n’êtes-vous pas génés que Donald Trump ait évoqué la volonté de Dieu ? Je répondrais que si un sot dit une vérité, cela ne fait pas de cette vérité une sottise. Et on voit où va une société dont Dieu est de plus en plus absent : la mort, sans crier gare, remplace peu à peu l’amour.

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