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La Confession de Magdebourg et la doctrine des magistrats inférieurs des Réformateurs – par John Witte Jr

Note de La Lumière

Cet article ci-dessous est un appel lancé aux héritiers de la Réforme protestante pour qu’ils reviennent aux doctrines bibliques de la loi, du gouvernement civil, de l’autorité et des magistrats inférieurs, telles que les Réformateurs les avaient remises à l’honneur et appliquées. Malheureusement, les églises et chrétiens protestants (évangéliques comme réformés) nagent aujourd’hui en pleine confusion, non seulement en abandonnant ces doctrines, mais en les répudiant et en les vilipendant comme si elles étaient pure hérésie « zélote », prétendument décentrant de l’Evangile et de Christ et du message du salut. Cette attitude erronée très répandue procède, essentiellement, d’une mauvaise conception de la loi de Dieu et de sa place dans la vie de l’Eglise et dans le monde, considérée comme abolie. Des théologiens contemporains, y compris réformés, en recourant à des citations de Calvin parcellaires et tirées hors de leur contexte, enseignent qu’elle n’a plus de validité aujourd’hui dans le gouvernement civil, et avancent une doctrine dite « réformée des deux royaumes », avec toutes ses variantes. Quelles que soient, en définitive, ces variantes, le résultat final est sensiblement presque toujours le même : ces théologiens contemporains ferment les yeux devant les abominations et la tyrannie de nos gouvernements devenus ouvertement antichrétiens et appellent à avoir un « témoignage paisible », à être en « interaction intelligente avec le monde », abandonnant de fait toute confrontation contre le mal, toute résistance au mal. C’est là une distorsion flagrante du mandat que le Seigneur a donné à l’Eglise d’être le sel et la lumière du monde et la colonne et l’appui de la vérité. Les protestants ne sont plus des protestants, mais des prosternants séduits par le piétisme et l’antinomisme.

Par John Witte Jr

Law and History Review

Ironiquement,  Théodore de Bèze a trouvé son « exemple phare »8 de la manière de traiter la tyrannie et la résistance non pas tant dans les œuvres des premiers calvinistes que dans celles des luthériens ultérieurs – en particulier des juristes et théologiens luthériens qui avaient rédigé la Confession de Magdebourg de 1550. La Confession de Magdebourg a été une reprise majeure sous forme distillée des théories de résistance luthérienne les plus avancées de l’époque9. Les dirigeants de la petite ville saxonne de Magdebourg avaient rédigé cette Confession en réponse à l’ordre du saint empereur romain d’imposer par le droit civil les doctrines et liturgies catholiques uniformes élaborées par le Concile de Trente et d’éradiquer « l’hérésie luthérienne qui sévissait » et qui avait « infecté » le saint empire romain pendant trois décennies10. Les régimes luthériens qui n’acceptaient pas pacifiquement cette nouvelle loi impériale allaient devoir faire face à des conquêtes et des destructions militaires. Plusieurs administrations et dirigeants luthériens avaient déjà capitulé. La ville de Magdebourg ne le ferait pas. Les forces impériales mirent la ville en état de siège. Les dirigeants de Magdebourg restèrent fermes et commencèrent à écrire avec audace une défense de leurs actions. La Confession de Magdebourg de 1550 est le plus important des plus de cent opuscules qui défendent leur position. La Confession affirmait les doctrines luthériennes essentielles que les ministres jugeaient contraires à ces nouvelles lois imposant l’établissement du catholicisme. La Confession réitérait ensuite les arguments justifiant leur refus d’obéir aux nouvelles lois impériales et leur résistance à leur mise en œuvre – par la force des armes si nécessaire. Sa principale conclusion est énoncée dans le préambule :

Si la haute autorité ne s’abstient pas de persécuter injustement et par la force non seulement la vie de ses sujets, mais encore plus leurs droits en vertu de la loi divine et naturelle, et si la haute autorité ne renonce pas à éradiquer la vraie doctrine et le vrai culte de Dieu, alors la magistrature inférieure est tenue par les commandements divins de tenter, avec ses sujets, de tenir tête à ces supérieurs dans toute la mesure du possible. La persécution actuelle que nous subissons de la part de nos supérieurs est avant tout une persécution par laquelle ils tentent de supprimer la vraie religion chrétienne et le vrai culte de Dieu et de rétablir les mensonges et l’abominable idolâtrie du pape. Ainsi, le Concile [de Magdebourg] et chaque autorité chrétienne sont tenus de se protéger et de protéger leur peuple contre cela11.

Confession de Magdebourg, préambule.

Dans un sens, la Confession de Magdebourg faisait simplement écho aux retentissants appels à la résistance de Martin Luther qui avait révolutionné la chrétienté occidentale trois décennies auparavant. Dans ses écrits de la fin des années 1510 et du début des années 1520, Luther s’en était pris encore et encore au pape, le qualifiant de « tyran spirituel », voire d' »antéchrist », de « prostituée de Babylone », de « loup-garou » qui traquait la Vigne de Dieu au péril des chrétiens innocents. Par le biais de fausses doctrines et de lois abusives, dénonçait Luther, le pape et sa suite cléricale avaient détruit la liberté de l’Évangile chrétien, tyrannisé la conscience chrétienne et couvert d’aveuglement le peuple allemand. Luther avait alors appelé divers magistrats inférieurs – princes, nobles, ducs et villes d’Allemagne – à se lever et à chasser ce tyran spirituel au nom de la liberté de l’Évangile12.

C’était une chose, cependant, de résister et de rejeter la tyrannie du pape et des autres membres du clergé. Après tout, le pape avait, selon Luther, usurpé l’autorité divine du magistrat chrétien et envahi la liberté divine de la conscience chrétienne. C’était tout autre chose que de résister et de rejeter la tyrannie de l’empereur et des autres magistrats. Après tout, l’une des déclarations les plus célèbres de Christ a été : « rendez à César [l’empereur] ce qui appartient à César et à Dieu ce qui appartient à Dieu »13. Saint Paul avait développé cette question :

Que toute personne soit soumise aux autorités supérieures ; car il n’y a point d’autorité qui ne vienne de Dieu, et les autorités qui existent ont été instituées de Dieu. C’est pourquoi celui qui s’oppose à l’autorité résiste à l’ordre que Dieu a établi, et ceux qui résistent attireront une condamnation sur eux-mêmes. Ce n’est pas pour une bonne action, c’est pour une mauvaise, que les magistrats sont à redouter. Veux-tu ne pas craindre l’autorité ? Fais le bien, et tu auras son approbation. Le magistrat est serviteur de Dieu pour ton bien. Mais si tu fais le mal, crains ; car ce n’est pas en vain qu’il porte l’épée, étant serviteur de Dieu pour exercer la vengeance et punir celui qui fait le mal. Il est donc nécessaire d’être soumis, non seulement par crainte de la punition, mais encore par motif de conscience14.

Romains 13:4‭-‬5.

Saint Pierre était encore plus tranchant :

Soyez soumis, à cause du Seigneur, à toute autorité établie parmi les hommes, soit au roi comme souverain, soit aux gouverneurs comme envoyés par lui pour punir les malfaiteurs et pour approuver les gens de bien. Car c’est la volonté de Dieu qu’en pratiquant le bien vous réduisiez au silence les hommes ignorants et insensés, étant libres, sans faire de la liberté un voile qui couvre la méchanceté, mais agissant comme des serviteurs de Dieu. Honorez tout le monde ; aimez les frères ; craignez Dieu ; honorez le roi15.

1 Pierre 2:13-17.

« Honore ton père et ta mère » et par extension toutes les autres autorités, la Bible le déclare à plusieurs reprises, « afin que tes jours soient prolongés dans le pays que le Seigneur ton Dieu t’a donné »16.

Toutes ces écritures semblaient revêtir une autorité biblique assez ferme et claire pour ordonner à un chrétien consciencieux de respecter les autorités et de leur obéir et de souffrir patiemment dans la prière si les autorités abusent de leur fonction ou deviennent des tyrans.

La Confession de Magdebourg a contrebalancé ces textes bibliques par un barrage d’arguments tirés de la Bible, de l’histoire et du droit qui appelaient à la résistance contre la tyrannie politique. Les arguments bibliques ont dominé la Confession. Oui, nous devons honorer les autorités « afin que nos jours soient prolongés », soutenait la Confession. Mais si nos jours sont raccourcis, alors nous ne devons pas honorer les autorités qui les raccourcissent. Oui, les autorités politiques ont été « instituées par Dieu pour faire le bien ». Mais si elles ne font pas le bien, alors elles ne peuvent pas avoir été nommées par Dieu. Oui, le magistrat n’est pas « à redouter pour une bonne conduite, mais pour une mauvaise ». Mais s’il devient une terreur pour une bonne conduite, alors il doit être un magistrat mauvais. Oui, nous devons « rendre à César ce qui appartient à César, et à Dieu ce qui appartient à Dieu ». Mais si César veut ou prend ce qui appartient à Dieu, alors nous devons le retenir ou le récupérer par amour pour Dieu. Oui, « celui qui résiste aux autorités résiste à Dieu ». Mais si les autorités résistent à Dieu, alors nous devons sûrement venger l’honneur de Dieu. Oui, « la vengeance est à moi », dit le Seigneur. Mais « nous sommes ses instruments » pour le bien, et « Dieu punit de manière telle que ceux qui exécutent le châtiment ne font pas le mal, mais exécutent la volonté et les commandements de Dieu »17.

Dieu a ordonné les « trois principales sphères » de l’Eglise, de l’Etat et de la famille pour maintenir l’ordre et la paix dans ce monde pécheur afin que l’Evangile puisse s’épanouir et que chaque personne puisse mener à bien son appel donné par Dieu, soutenait la Confession, citant divers textes bibliques. Aucune de ces autorités ne peut se « mélanger » ou s’immiscer dans le mandat, créé par Dieu, de l’autre. Aucune ne peut abandonner, trahir ni outrepasser la fonction qu’elle a reçue de Dieu. Et surtout, aucune ne peut violer la souveraineté de Dieu. Toutes les autorités gouvernent donc sous conditions. Si des autorités « cherchent à exterminer la religion et la morale, et persécutent la vraie religion et la vie décente, alors elles se débarrassent de leur propre honneur, et elles ne peuvent plus être considérées comme des autorités ni des parents, ni devant Dieu ni dans la conscience de leurs sujets. Elles deviennent une institution du diable et non celle de Dieu, une institution contre laquelle chacun peut et doit résister en toute bonne conscience, chacun selon sa vocation18« .

L’appel à résister aux autorités politiques abusives est avant tout le fait des magistrats inférieurs. La Bible indique clairement que Dieu a institué plusieurs autorités, et non une seule. La Bible parle des « pouvoirs qui sont de multiples autorités qui gouvernent », et non pas d’une seule autorité. Toutes les autorités politiques sont dotées du pouvoir de l’épée pour faire le bien et pour punir le mal. Ce pouvoir doit être exercé à l’intérieur du gouvernement ainsi qu’à l’extérieur, au sein de la communauté. Lorsqu’un magistrat inférieur fait le mal, un collègue ou un magistrat supérieur doit le corriger ou le démettre de ses fonctions. Lorsqu’un magistrat supérieur fait le mal, ses collègues ou les magistrats inférieurs doivent, à leur tour, le corriger et le contrôler, mais toujours dans les limites de l’honneur et du respect que le magistrat supérieur mérite. Si le magistrat supérieur ne commet qu’une infraction mineure ou personnelle, les magistrats inférieurs doivent le réprimander en privé et avec douceur. Mais s’il met injustement en danger « la vie et l’intégrité physique », « les femmes et les enfants » et « les libertés locales du peuple », les magistrats inférieurs « peuvent faire usage de leurs droits pour se défendre » et défendre leurs sujets. Pire encore, si le magistrat supérieur commet une attaque préméditée contre « les droits les plus élevés et les plus essentiels du peuple » – et s’il attaque « notre Seigneur lui-même, l’auteur de ces droits » – alors même les « régents insignifiants et les plus faibles » doivent se dresser contre lui. Si nécessaire, ces magistrats inférieurs doivent appeler « tout chrétien pieux et raisonnable » à se joindre à eux dans la résistance, armés non seulement de l’épée, mais aussi de l’assurance de la Parole que « Dieu est de notre côté19 » .

La Confession de Magdebourg n’a pas explicité systématiquement les « libertés locales du peuple » ni « les droits les plus élevés et les plus essentiels du peuple » qui pouvaient déclencher ces étapes dans l’escalade de la résistance et de la révolte. Mais elle a clairement indiqué que les « droits procéduraux » du peuple avaient été restreints : les « lois divines, naturelles et laïques reconnaissent toutes que les criminels ont droit à une audience publique et à leur passage au tribunal. Mais nous avons été « accusés uniquement sur la base de preuves par ouï-dire » et nous n’avons pas eu la possibilité de « faire face à nos accusateurs ». Ce n’est pas parce que d’autres villes luthériennes ont capitulé que nous devons perdre « nos droits par défaut ». « Notre affaire doit être jugée conformément à une justice appropriée20 » .

Mais la principale préoccupation de la Confession était que l’empereur violait les « droits essentiels » du peuple en matière de religion.

Ces violations méritaient une réponse plus énergique. Nous « ne cherchons rien d’autre que la liberté de demeurer et d’être laissés dans la vraie religion reconnue du saint et unique Évangile rédempteur ». Nous agissons de manière pacifique. Nous éduquons nos enfants pour qu’ils soient des citoyens bons et utiles. Nous prions chaque jour pour nos dirigeants. Nous payons nos impôts et nos tributs. Nous déclarons nos propriétés. Nous « ne désirons la terre ni le peuple de personne et ne convoitons la valeur et les biens de personne ». « Votre Majesté impériale permet aux Juifs et aux païens de suivre leur religion, et ne les force pas à quitter leur religion pour rejoindre la papauté. » Mais « nous ne sommes même pas autorisés à avoir la même liberté de religion que celle accordée aux non-chrétiens. » Au lieu de cela, l’empereur cherche « à réintroduire l’idolâtrie du pape, à supprimer ou à exterminer la pure doctrine du saint Évangile … en violation non seulement de la loi divine, mais aussi du droit civil écrit21 » .

Dans ces circonstances, la Bible exige d’ « une magistrature inférieure craignant Dieu et de tous ceux sur qui elle a été établie qu’ils assurent la protection contre une telle force injuste et maintiennent la vraie doctrine et le vrai culte, et préservent le corps et la vie, l’âme et l’honneur ». Ces magistrats inférieurs qui ne remplissent pas leur devoir ignorent l’avertissement de Proverbes 24:11 : “Délivre ceux qu’on traîne à la mort, ceux qu’on va égorger, sauve-les !” D’autres doivent aussi venir à la rescousse, de peur d’ignorer la leçon de Juges 5:23 où il est dit que Dieu a maudit un peuple “car ils ne vinrent pas au secours de l’Eternel, au secours de l’Eternel, parmi les hommes vaillants”. C’est Dieu qui a « institué la force », et il s’attend à ce qu’elle soit utilisée pour « faire avancer et défendre Sa parole, le véritable culte divin, et une révérence appropriée envers Dieu22 » .

Non seulement la Bible, mais également l’histoire montrent clairement que résister aux tyrans qui foulent aux pieds les droits religieux de leur peuple n’est pas seulement un droit, mais aussi un devoir des fidèles. L’histoire biblique en est pleine d’exemples : Jonathan et David ont résisté au roi Saül, tout comme les propres serviteurs de Saül lorsqu’il est devenu tyrannique. Les chefs de Zabulon et de Nephthali ont défié Jabin, le roi cananéen. Elias, Jehu et Naboth refusèrent d’obéir au roi Achab. Asa déposa sa propre mère tyrannique, la reine Maacah. Daniel désobéit au roi Darius. Les Maccabées attaquèrent les Romains. La Confession revient sans cesse sur ces exemples pour illustrer les devoirs d’une personne face à la tyrannie. L’histoire romaine, elle aussi, est pleine d’exemples. Pensez à Ambrosius refusant Justine, Moritz résistant à Maximin, Ambroise réprimandant Théodose, Laurentius refusant les ordres de Dèce, et plus encore23. Même le souverain romain païen Trajan remit à son adjoint une épée avec ces paroles : « Dans la mesure où je commande ce qui est juste, manie cette épée contre mes ennemis ; mais si je fais le contraire, alors manie-la contre moi24 » .

Ces exemples et d’autres de l’histoire religieuse et profane, poursuit la Confession, soulignent la validité « universelle » et « naturelle » de la « loi de légitime défense »25. La défense de soi et des tiers contre les attaques, en utilisant la force et la violence si nécessaire, est une doctrine juridique familière du ius commune (droit commun) européen. Lorsqu’une personne est injustement attaquée par une autre, la victime a le droit de se défendre, de résister – passivement, en fuyant, ou activement, en restant pour combattre avec une force proportionnée. D’autres parties, en particulier les parents, les tuteurs ou les personnes en charge de la victime, ont également le droit d’intervenir pour aider la victime – de nouveau passivement en l’aidant à s’échapper, ou activement en repoussant l’agresseur par la force.

Lorsqu’un magistrat outrepasse son autorité, argumentait la Confession par analogie, il perd sa fonction et devient simplement comme un individu quelconque. S’il utilise la force pour mettre en œuvre son autorité excessive, ses victimes et les tiers peuvent lui résister passivement ou activement, comme s’il s’agissait de n’importe quel autre criminel. En outre, si le magistrat supérieur qui donne les ordres a outrepassé son autorité, alors tous les magistrats inférieurs, les ministres et les militaires qui exécutent ses ordres ont également outrepassé leur autorité. Ils sont complices du crime de l’ancien magistrat supérieur devenu citoyen individuel. Et ils ne sont eux-mêmes plus que des citoyens individuels engagés dans des actions criminelles. Tant la victime que les tiers ont le droit de résister passivement ou activement à ces agresseurs.

La Confession a tiré de cette loi d’autodéfense plusieurs leçons pour répondre à l’empereur et à ses alliés politiques qui cherchaient maintenant à contraindre les luthériens à revenir au catholicisme. Tout d’abord, tous ceux qui aidaient et agissaient pour le compte de ce tyran étaient eux-mêmes complices de son crime de tyrannie, et ils étaient tous coupables devant Dieu. Cela incluait tous les magistrats inférieurs qui exécutaient ses ordres. Cela comprenait également les soldats et les alliés qui combattaient pour le tyran, les citoyens et les sujets qui payaient des impôts pour soutenir le tyran, et même les sujets qui priaient sciemment pour le succès du tyran26. Deuxièmement, tous ceux qui étaient appelés à s’occuper des autres devaient aider ceux qui dépendent d’eux à résister aux attaques tyranniques. Les magistrats inférieurs, les juges et la police doivent protéger les citoyens locaux. Les pasteurs, les anciens et les sacristains doivent protéger leurs fidèles. Les pères, les mères et les maîtres doivent protéger leurs enfants, leurs serviteurs et leurs pupilles. Les enseignants et les tuteurs doivent protéger les élèves dans leurs écoles. Si l’une de ces personnes à charge était attaquée dans la rue par un simple criminel, leurs responsables devraient intervenir. Dans le cas contraire, ils deviendraient complices de l’attaque criminelle. Les tyrans sont de simples criminels, faisait valoir la Confession, et les victimes innocentes doivent donc être défendues contre eux. Ceux qui ne prennent pas part à leur défense deviennent eux-mêmes des criminels. « Dieu jugera comme coupables non seulement ceux qui commettent eux-mêmes des meurtres injustes, mais aussi ceux qui n’ont pas contribué à protéger et à sauver, selon leurs capacités27 » .

Troisièmement, en invoquant la doctrine luthérienne du sacerdoce de tous les croyants, la Confession soutenait avec une rhétorique qui montait en crescendo que « tous les chrétiens pieux devraient se préoccuper de cette urgence commune et la prendre autant à cœur et la traiter aussi sérieusement que si elle concernait chaque personne individuellement ». Tous les chrétiens sont appelés à être des sacrificateurs pour leurs pairs, de bons samaritains pour les étrangers en danger. Tous les chrétiens ont donc la responsabilité d’intervenir lorsqu’une victime est agressée par un criminel de droit commun, ou lorsqu’une communauté est ravagée par un tyran criminel. Cela devient doublement impératif lorsque la victime de cette attaque criminelle est finalement le Christ lui-même, dont le peuple et la prédication sont injustement assaillis. « Autant que vous le faites pour eux, autant vous le faites pour moi », avait dit le Christ28.

La Confession n’affirmait en rien que chaque membre chrétien de la communauté pouvait et devait chercher à renverser les tyrans par la violence. C’était là une recette menant à l’anarchie, et les ministres de Magdebourg travaillèrent avec labeur pour contrer une telle conclusion insurrectionnelle. Une réponse plus structurée s’imposait, les magistrats supérieurs donnant des instructions aux magistrats inférieurs et, en fin de compte, aux responsables locaux sur les meilleurs moyens et mesures de réponse. Le premier réflexe d’un particulier devrait être la prière et la patience, puis la désobéissance passive aux fausses autorités et les conseils à donner aux autres sur la manière de désobéir, puis les requêtes d’aide aux autorités inférieures et la mise en avant insistante sur la revendication des droits essentiels qui ont été violés. Ce n’est qu’après avoir épuisé les recours pacifiques et reçu l’ordre d’une autorité inférieure légitime de se joindre à une guerre juste ou à une rébellion qu’une personne individuelle a le droit de désobéir violemment. Mais une fois qu’elle y a droit, elle peut et doit se battre avec tout l’empressement voulu. Rien de tout cela ne constituait une violation des devoirs du chrétien individuel envers Dieu et sa conscience :

« Les lois et les libertés de notre empire germanique sont telles que les chrétiens peuvent les utiliser en [bonne] conscience, tout comme ils utilisent d’autres règles séculières qui ne sont pas contre Dieu. En effet, si les chrétiens n’en font pas usage, ils seront perdants à leur propre honte éternelle devant le monde et au détriment de leurs successeurs29 » .

La Confession de Magdebourg fut une réussite intellectuelle impressionnante, car elle a su distiller et étendre les enseignements luthériens les plus radicaux sur la résistance à la tyrannie politique30. Après un an de siège de Magdebourg, l’allié militaire de l’empereur, le duc Maurice de Saxe, revint finalement du côté luthérien, et la menace de conquête de Magdebourg se transforma en impasse. Cela conduisit à l’effondrement progressif des autres campagnes militaires impériales contre les luthériens et à l’abandon du programme de l’empereur visant à faire appliquer sa loi promulguant l’établissement du catholicisme dans tout l’Empire. Finalement, l’empereur accepta la paix d’Augsbourg (1555) qui permettait à chaque administration politique en Allemagne d’avoir sa propre confession religieuse, qu’elle soit catholique ou luthérienne, en vertu du principe constitutionnel du cuius regio, eius religio (« quelle que soit la région, sa religion »)31.

Notes :

  1. Bèze, TT 1:92 ; voir en outre Robert M. Kingdon, « The First Expression of Theodore Beza’s Political Ideas », Archiv für Reformationsgeschichte 46 (1955) : 88, 90-93.
  2. Confessio et apologia pastorum et reliquorum ministrorum Ecclesiae Magdeburgensis (Magdebourg, 1550) [ci-après MC]. David M. Whitford m’a aimablement fourni une traduction de travail de ce document, que j’ai adaptée ici sur la base de la révision du texte original. Voir aussi David M. Whitford, Tyranny and Resistance: The Magdeburg Confession and the Lutheran Tradition (Saint Louis, Mo. : Concordia Publishing House, 2001).
  3. « The Interim, or Declaration of Religion of His Imperial Majesty Charles V, » dans Tracts and Treaties in Defense of the Reformed Faith, traduit par Henry Beveridge, édité par T. F. Torrance (Grand Rapids, Mich. : Wm. B. Eerdmans, 1958), 3:190.
  4. MC, A1v.
  5. Voir les sources dans mon Law and Protestantism: The Legal Teachings of the Lutheran Reformation (Cambridge : Cambridge University Press, 2002), 53-65.
  6. Matthieu 22:21 ; Marc 12:17 ; Luc 20:25. Ndt : Version Segond pour la traduction française.
  7. Romains 13:1-5.
  8. 1 Pierre 2:13-17.
  9. Exode 20:12 ; Lévitique 19:5 ; Deutéronome 5:16 ; Matthieu 15:4 ; Marc 7:10 ; Éphésiens 6:1-2.
  10. MC, G3r-H1r ; K1r-K3r, L2r-M1r.
  11. MC, G3r, G4v, L1r.
  12. MC, J4r-K1r, K2R-L1r, M1r-M2r, P2r-P3r,
  13. MC, H2r, K4r.
  14. MC, H4r-J2r, K1r.
  15. MC, K1r, L3r, P2v.
  16. MC, J3r, L1r-L4r, M4r-N1r, O3r-O4r.
  17. MC, M4r.
  18. MC, K1r, N.
  19. MC, N4r-O1r, P3r-P4r.
  20. MC, P1r, P2r-P4r.
  21. MC N3r-N4r, P1r, P4r.
  22. MC, G1r, H2r-J3r, 04r.
  23. Heinz Scheible, Das Widerstandsrecht als Problem der deutsche Protestanten 1523-1546 (Gütersloh : Gütersloher Verlagshaus G. Mohn, 1969) ; Eike Wolgast, Die Religionsfrage als Problem des Widerstandsrechts im 16. Jahrhundert (Heidelberg : C. Winter, 1980) ; Quentin Skinner, The Foundations of Modern Political Thought (Cambridge : Cambridge University Press, 1978), 2:195-206.
  24. Dans Sidney Z. Ehler et John B. Morrall, éditeurs, Church and State through the Centuries: A Collection of Historic Documents with Commentaries (Westminster, Md. : Newman Press, 1954), 164-73.

Source : http://www.freerepublic.com/focus/f-religion/2409826/posts

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